On ne compte plus les bienfaits des forêts : barrière contre l’érosion des sols, réserve de biodiversité, puits de carbone… À cette liste doit également être ajouté un bénéfice plus méconnu : les forêts peuvent en dernier recours nourrir des populations vulnérables, tout particulièrement celles dépendantes du secteur agricole dans les pays du Sud, qui sont très exposées aux sécheresses, inondations ou tempêtes.
Ces événements météorologiques extrêmes ont un impact direct sur les rendements agricoles, la mortalité du bétail, et la dégradation des écosystèmes. Face à ces nombreux risques, les populations rurales mettent en place un grand nombre de stratégies d’adaptation de court ou moyen terme, comme le recours au crédit, la migration et la diversification des cultures.
Fruits, racines, champignons, chasse…
Parmi ces stratégies, les forêts peuvent également faire office de filet de sécurité important. Car les forêts tropicales sont riches en produits susceptibles d’être collectés, afin d’être vendus sur les marchés locaux ou consommés directement : fruits, racines, plantes médicinales, champignons, produits de la chasse… Les possibilités de collecte sont importantes et peu corrélées aux rendements agricoles. Ainsi, un ménage dont la production agricole chute à cause d’une sécheresse pourra toujours se procurer des produits forestiers.
Cette activité a également le grand bénéfice d’être accessible à la majorité des ménages, même les plus démunis, car elle nécessite peu d’investissement et ne requiert pas de compétence particulière. Ainsi la collecte de produits forestiers est souvent décrite comme une option de dernier recours, pour les ménages ayant peu ou pas d’accès aux marchés de l’assurance et du crédit, et peu d’alternatives de gestion du risque agricole (manque d’opportunités de travail en dehors du secteur agricole, freins aux migrations…).
350 millions de personnes dont la subsistance dépend des forêts
Au total, la Banque Mondiale estime que 350 millions de personnes dans le monde dépendent des forêts pour leur subsistance. Cependant, si cette collecte de produits forestiers peut s’avérer un bon filet de sécurité face au risque agricole, cette activité demeure trop peu productive et rentable pour devenir l’activité principale des ménages agricoles, au risque de les piéger dans un état de pauvreté permanente.
En outre, la capacité des forêts à fournir un filet de sécurité efficace dépend du niveau de pression qui s’exerce sur les ressources forestières. Une exploitation excessive des produits forestiers pourrait compromettre ce rôle des forêts, voire engendrer une dégradation des ressources.
La compilation de diverses données
Pour évaluer l’efficacité de ce filet de sécurité que peuvent être les forêts, un article récent de Jessica Meyer analyse comment l’alimentation des ménages évolue lorsqu’un choc météorologique survient, et dans quelle mesure la présence des forêts permet de tempérer ce choc. Pour ce faire, l’analyse se base sur le cas du Malawi et combine trois ensembles de données :
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la base LSMS-ISA de la Banque Mondiale sur les caractéristiques des ménages : statut socio-économique, consommation alimentaire, activités agricoles et non agricoles.
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Les données de pluviométrie et d’évapotranspiration pour décrire les chocs météorologiques qui sont définis comme des écarts importants par rapport à la moyenne des années qui précèdent.
- Les données de couvert forestier provenant du programme de télédétection de la NASA
Le cas du Malawi se révèle particulièrement pertinent pour examiner le rôle des forêts en tant que filet de sécurité face aux aléas météorologiques. Avec 80 % de sa population qui dépend de l’agriculture pluviale, le secteur agricole du pays, et son économie en général, sont fortement vulnérables face aux épisodes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses, les précipitations intenses et les inondations, qui deviennent de plus en plus fréquents.
Le Malawi : un cas particulièrement probant
Durant la période 2015-2016, le Malawi a été touché par une inondation, suivie d’une sécheresse, entraînant des pertes cumulées estimées à 700 millions de dollars selon la Banque Mondiale. En 2019, le Malawi a subi de graves inondations après le passage du cyclone Idai, et en 2023, le cyclone Freddy a provoqué des pluies torrentielles et des inondations importantes à travers le pays.
De plus, le Malawi est l’un des pays les plus pauvres au monde. Selon le FMI, 50,7 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et 25 % des Malawites sont caractérisés d’extrêmement pauvres. Il est également l’un des pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire, se classant au 91ème rang sur 113 selon l’indice mondial de la sécurité alimentaire en 2022 et avec près de 18 % de la population souffrant de sous-nutrition.
Dans ce contexte de vulnérabilité climatique et économique couplé à une grande insécurité alimentaire, l’exploitation des produits forestiers peut donc s’avérer cruciale pour réduire l’exposition et la sensibilité aux risques des communautés agricoles au Malawi. Les forêts de type Miombo, qui s’étendent sur une grande partie de l’Afrique centrale et australe, renferment de surcroît une diversité de ressources telles que des fruits, des champignons, du miel, des chenilles, etc., qui peuvent offrir un filet de sécurité efficace en cas de choc.
Au Malawi, dans de nombreuses zones, l’accès aux forêts et l’utilisation des produits forestiers sont régis par le droit coutumier et les pratiques traditionnelles. Il est aussi important de souligner que les forêts ont la capacité de contribuer directement à l’atténuation des épisodes de sécheresse et d’inondation de par leur influence sur le climat.
Chocs climatiques et perte d’alimentation diversifiée
Les résultats de l’analyse ont pu montrer que les ménages qui subissent des chocs météorologiques ont une alimentation moins diversifiée : les sécheresses et excès de pluie ont des impacts négatifs sur leurs activités agricoles, ce qui réduit leurs moyens de subsistance et contraint donc la qualité de leur alimentation. Cependant, la présence de forêts à proximité tend à limiter la portée négative de ces chocs sur l’alimentation, en particulier quand il s’agit de sécheresses.
Face aux chocs climatiques, certains ménages demeurent cependant mieux lotis que d’autres : ceux qui possèdent du bétail peuvent reconstituer en partie leur revenu grâce à la vente de produits issus de l’élevage. Pour ces ménages, le recours aux ressources forestières est ainsi moins nécessaire.
D’autres options de gestion du risque sont également étudiées, comme la possession de biens durables (qui peuvent aussi être revendus en cas de pertes de revenus) ou le ganyu, c’est-à-dire la possibilité de travailler ponctuellement dans les champs voisins. Ici, les résultats sont moins contrastés : la présence de forêts permet de réduire l’impact négatif des chocs météorologiques sur l’alimentation, que les ménages soient en possession ou non de biens durables, qu’ils puissent avoir ou non recours au ganyu.
Des forêts nourricières mais menacées
Au total, ce travail montre l’importance des ressources forestières pour les populations rurales, en particulier dans un contexte climatique où les événements météorologiques extrêmes deviennent de plus en plus prégnants. Ainsi la préservation des forêts est nécessaire non seulement d’un point de vue global, pour la conservation du carbone et la conservation des écosystèmes et de la biodiversité, mais elle est aussi essentielle pour la résilience des populations du sud.
Les forêts au Malawi sont cependant soumises à d’importantes pressions. En 1990, la surface forestière du pays représentait 37,1 % de son territoire, alors qu’en 2020, ce chiffre était descendu à 23,8 %. La perte du couvert forestier au Malawi peut principalement être attribuée à l’expansion agricole et à la surutilisation de la biomasse, comme le bois, le charbon et les résidus agricoles utilisés notamment pour la cuisson et le chauffage. Réussir à combiner la préservation des ressources forestières tout en permettant un accès aux populations les plus vulnérables représente donc un enjeu majeur pour le pays.
Jessica Meyer, Doctorante en Sciences Économiques , Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Julie Lochard, Professeure des Universités en Économie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Philippe Delacote, Directeur de recherche en économie à l'INRAE et Chaire Economie du Climat, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.